«On apprend l’espagnol, l’anglais, le français… pourquoi ne pas apprendre à parler la langue du Vivant, des plantes et des animaux ?»
À travers nos activités, panels, rencontres et événements organisés avec des partenaires et invité.es de divers horizons, le Campus laisse place à ces questionnements et à cette grande question centrale qu’est notre rapport au Vivant, à la Nature, grâce à des espaces-temps dédiés.
Ce rapport souvent alimenté soit par des discours alarmistes voire anxiogènes - lorsqu'on relit les mots du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, qui affirme que « Nous sommes sur une autoroute vers l'enfer climatique, avec le pied toujours sur l'accélérateur »… -, soit par des visions faussées de ce que la nature est pour nous : une ressource inépuisable ou complètement déconnectée de l’humain.
Parce qu’il est essentiel d’entendre d’autres voix pour nourrir le chapitre, le Campus a déjà offert une tribune à des intervenant.es animé.es par le sujet lors de deux évènements. Nous vous proposons de retrouver dans cet article les grandes réflexions apportées lors de ces espaces-temps.
Le 11 décembre dernier, dans le cadre de la COP15, le Campus a tenu à souligner son engagement pour la protection de la diversité en initiant une première conversation entre ces 3 passionné.es du Vivant :
Laurence Brière - Professeure en éducation relative à l’environnement, Laurence s’intéresse aux enjeux épistémiques, éthiques et politiques soulevés par la diversité des rapports que les personnes et groupes sociaux entretiennent avec leur environnement.
Mariano Lopez - Consultant et formateur avec plus de 25 ans d’expérience en intervention psychosociale et travail de groupe, Mariano Lopez aide les organisations à améliorer leur climat de travail. Depuis 2007, il forme des instructeur.rice.s pour le programme Cirque du monde mis sur pied par le Cirque du soleil. Il a participé en 2006 à la Mission Antarctique en tant que responsable de la santé mentale pour l'équipage. Parallèlement, il collabore avec la Ville de Montréal dans des programmes de formation pour améliorer la dynamique de groupe et utiliser le climat de coopération à l’intérieur d’une équipe comme moyen de protection sociale.
et Jayne Engle - Dr. Jayne Engle est urbaniste, stratège, chercheuse et enseignante. Elle co-dirige “Participatory Cities Canada” et collabore avec Dark Matter Labs / Labs de matière sombre et le Centre Agirre Lehendakaria, au Pays Basque. . Elle est professeure adjointe en aménagement urbain à l’Université McGill et a récemment publié le livre Sacred Civics: Building Seven Generation Cities.
En préambule à la discussion, un consensus : il faut comprendre notre rapport actuel à la nature pour en saisir les origines et agir à la racine.
Alors, par quoi est conditionné notre rapport au Vivant ?
Les réponses fusent…
« Notre occidentalité est-elle à blâmer ? avec une culture du profit et du gain sans limite, qui nous éloigne du spirituel et nous positionne comme supérieur au Vivant, là où sans lui l’homme ne peut exister. »
« La culture du “self made man” qui prône l’autonomie, coûte que coûte, sans égard pour les ressources puisées, tant naturelles qu’humaines. »
« Les médias et les discours qui façonnent les perceptions : l’environnement est tour à tour un problème, une ressource, une image d’Épinal construisant des narratifs qui floutent et désensibilisent. » L’exemple des publicités pour les SUV est utilisé pour illustrer la marchandisation de la nature : elle devient un terrain de jeu et l’automobile un moyen d’évasion.
Enfin, « notre instinct d’appropriation, de devenir propriétaire de terres, forêts, mers, océans et déserts. Une relation d'asservissement qu’il est temps de remettre en question pour bouleverser les constructions sociales. »
À la lumière des vécus et des réflexions de Laurence, Jayne et Mariano, des solutions et des prises de conscience se dessinent.
Là où l’on s’interroge souvent sur « quelle Terre laisserons-nous à nos enfants ? » , Laurence exprime la nécessité de renverser la question et de se demander « Quels enfants laisserons-nous à cette Terre ? ». C’est dans cette perspective que l’éducation et le leadership institutionnel ont leur rôle à jouer pour rapprocher les enfants et les jeunes adultes du Vivant. Une promesse d’ailleurs tenue par des courants émergents tels que la pédagogie par la nature.
Pour Mariano, qui navigue sur les eaux du Saint-Laurent, ce fleuve « dessine une frontière où il y a une richesse, invisible à l'œil nu mais qui prend toute son ampleur lorsque, à bord d’un voilier, des groupes autochtones remercient les éléments et nous rappellent que nous ne sommes pas en contrôle de ces derniers ».
Comment nous, occidentaux devenus insensibles, pouvons-nous rentrer à nouveau en relation avec la nature ?
Connectons-nous à cette vulnérabilité, à cette acceptation de ne pas être en contrôle, à la mise en relation et au changement de nos narratifs !
Grâce à l’expérience, aux savoirs, aux sensations, à l’Art et à la culture, apprenons à dialoguer grâce à des médiateurs et médiatrices qui seront en mesure de nous reconnecter.
Pourquoi ? parce que l’environnement nous forme autant qu’il nous transforme.
En miroir à cet évènement, le Campus a coorganisé, avec Alexandre Warnet, le 22 avril dernier, le lancement du manifeste Sacrée nature ! suivi d’un panel pour se reposer la question de notre rapport au Vivant, avec des interventions de 4 invité.e.s :
Laure Waridel, éco-sociologue, professeure et co-porte-parole de Mères au front,
Samuel Rainville, ambassadeur de la forêt pour la Fondation David Suzuki et conseiller principal aux relations avec les Premiers Peuples à l’Université de Montréal,
Isabelle Béliveau, fondatrice et directrice générale du Collectif Éco-motion, spécialisé en adaptation écologique,
Alexandre Warnet, conseiller municipal de Laval-des-Rapides et fondateur de Gardiens et Gardiennes du Vivant.
Au cœur des discussions, la libération des esprits pour assumer notre écospiritualité, une notion fondamentale décrite dernièrement dans ce récent article d’un point cinq.
Dans une première partie, Alexandre Warnet présente le manifeste Sacrée Nature :
« L'amour du Vivant et l'appartenance à la Nature comme fondement d'un projet de société régénérateur! Voilà notre véritable défi écologique: plonger profondément à l’intérieur de nous, entrer en contact avec la partie de nous qui connecte, qui développe une véritable relation avec le reste de la communauté du Vivant, avec les écosystèmes, et qui suscite en nous une résonance avec la Nature, la Terre et l’Univers. C’est ainsi qu’on construira une écosophie, une écologie sacrée qui enracine en nous la capacité de nous transformer tant intérieurement que nos comportements extérieurs et, en fin de compte, notre impact individuel et collectif sur le reste de l’écosphère, en bâtissant un projet de société profondément écologique et régénérateur.»
Ce nouveau narratif offrit une belle ouverture au panel qui démarra par une vérité bouleversante énoncée par Laure Waridel.
« La Terre n’a pas besoin de nous, pour elle ça va bien aller. »
La question qui suit tombe alors sous le sens : qu’en est-il de nous alors ?
« Il faut puiser dans la connaissance, dans les savoirs… » les mots de Samuel Rainville résonnent « on peut s’inspirer des peuples autochtones, de l’expertise dans l'adaptabilité, la résilience et la connaissance du territoire. Nous ne sommes pas des écologistes, explique-t-il, mais un peuple qui a appris à vivre en harmonie avec la Nature.»
Mais quand nous ne pouvons pas être en contact avec cette nature dont nous faisons partie, comment faire ? questionne Diane Bérard en s’adressant aux 4 invité.es.
« Les connaissances autochtones, l’éducation à l’environnement (des valeurs qui ne sont pas encore intégrées dans le système d’éducation actuel) et les Pow-wow permettent aussi cette connexion, de vivre et voir la relation aux territoires», poursuit Samuel. Et pour rester en contact avec cette nature « pourquoi ne pas la célébrer ! Les premières nations fêtent le 21 juin, le jour le plus long de l’année. Pourquoi ne pas faire de même et fêter par exemple la fin de l’hiver ?»
La notion de célébration est aussitôt reprise par Isabelle : « Pour traverser cette crise, il faut mettre en place un nouveau discours et célébrer pour s’énergiser et passer le cap. Se permettre de célébrer, c’est s’offrir un répit».
Laure voit plus loin pour se connecter au Vivant. Elle prône que la protection de 30% de notre territoire, d’ici 2023, soit appliquée à notre nature de proximité ! « 30% de nos espaces pour la biodiversité, la protection des pollinisateurs. On protège ce qu’on aime et pour aimer… il faut connaître, mettre à la portée. Les écoles ont leur rôle à jouer avec plus d’arbres, plus de jardins dans les cours ».
« Cultiver l’amour du Vivant c’est clé ! ». Pour Isabelle, ce nouveau rapport peut réduire l’éco-anxiété et éviter le déni, l’évitement et la paralysie ; des réactions classiques à court-terme, mais qui peuvent engendrer, dans le long terme, une incapacité d'action ».
Et une fois que nous sommes en contact et que notre relation au Vivant change… « faisons notre coming out » scande Alexandre !
« Osons parler de ce lien sacré, de notre rapport à la nature ». Il en est le premier ambassadeur, lui, qui ose devant différents publics montrer son amour pour le Vivant ce qui, certes, bousculera mais plantera les graines d’un nouveau projet de société et fera émerger des gardiens et gardiennes du Vivant.
Samuel lui se considère déjà comme un gardien du vivant dans son quotidien et apprend à connecter avec le système de valeurs autochtones, loin du système de valeurs scolaires, dans lequel il a baigné par volonté maternelle de lui donner plus de chances, et ce, quitte à se couper de son identité.
Laure, en tant qu’éco-sociologue, être gardienne du Vivant, c'est 35 ans dans l’action, dans un combat. Et comment réussit-elle à tenir ? « Parce que ça m’apporte de la joie.» Pour incarner une transition positive, on doit être joyeux, on doit AIMER ce Vivant pour dépasser les obstacles.
Ce en quoi croit aussi Isabelle : « Les jeunes qui poussent la porte d’Éco-motion se retrouvent désemparés face à cette question : ça ressemblera à quoi notre monde dans 10 ans ? Pour y répondre, nul doute que notre rapport au Vivant est sacré, sans quoi, à voir notre environnement dépérir, nous dépérirons aussi ».
Pour conclure ce panel riche en émotions et réflexions, Alexandre Warnet affirme que « l'accès à la Nature n’est pas un luxe, mais bel et bien un besoin ».
Le Campus ne peut qu’embrasser cette conclusion que nous tentons d’incarner le plus possible dans nos principes d’actions et nos activités pour assurer ce rôle de médiateur ou, à tout le moins, de connecteur.