Les lieux de l’en-attendant, des espaces temps pour bâtir l’avenir
compte-rendu de la Conférence de Taïka Baillargeon, Héritage Montréal, le 21 juillet 2021 au Campus de la transition écologique.
Dans un contexte de transition écologique, comment doit-on parler de notre patrimoine ? Le patrimoine est d’abord un leg. Un leg venant de notre passé que l’on souhaite un jour pouvoir offrir aux générations futures. Dans la ville, ce patrimoine s’incarne entre autres dans nos bâtiments, dans les lieux que nous habitons et utilisons. Ces lieux révèlent également les pratiques et savoir-faire du passé. Plus que son architecture, une vieille station de pompage nous parlera des rapports à l’eau qui ont déjà pu animer la ville, des problèmes qu’il fallait résoudre et les solutions qu’on pût trouver. Un ancien monastère nous exposera à des types différents de vie commune. Notre patrimoine bâti donne ainsi accès à tout un ensemble de connaissances capables d’informer nos pratiques et notre compréhension du monde.
La valorisation des bâtiments patrimoniaux peut toutefois devenir une entreprise ardue lorsque les villes peinent à retrouver un usage pour ces structures. Ces dernières tombent alors trop souvent dans une phase d’inutilisation prolongée en attendant le projet qui saura revaloriser l’espace à la hauteur de la mémoire qu’on en garde. Cette longue attente s’accompagne au mieux d’entretiens coûteux, mais, dans la majorité des cas, se traduit par un abandon total qui résulte en une lente dégradation. À la longue, ce sont des quartiers complets qui peuvent finir par subir les effets de cette détérioration de l’espace, de la sécurité environnante et surtout de l’aspect des lieux.
Mais les lieux de l’en-attendant sont également une grande opportunité. En effet, ces espaces se révèlent comme autant d’espaces à investir des principes de la transition écologique. En effet, la valorisation du patrimoine est déjà un travail transition d’une fonction à une autre, mais il existe également des implications environnementales. Il n’est pas anodin, par exemple, que le coût écologique du remplacement d’édifices patrimoniaux peut équivaloir le coût de nombreuses années de leur entretien.
Mais c’est d’abord dans la manière d’occuper les lieux de l’en-attendant qu’on comprend la transition de notre patrimoine et de notre territoire. Face au besoin de densifier les villes, les bâtiments vacants deviennent autant d’opportunités d’occuper différemment les espaces qui nous sont accessibles dans une optique de « faire-ville ». Cela implique de réintroduire des formes de collaboration citoyenne, mais aussi d’établir des liens plus profonds avec les anciens savoir-faire, ouvrant la porte à de nouvelles manières d’occuper l’espace, d’habiter et de valoriser nos villes.
Ce genre d’approche se veut un dépassement de l’urbanisme événementiel dont les projets de revalorisation très temporaires finissent souvent à servir des intérêts privés profitant de l’attrait renouvelé pour investir dans la gentrification. Ainsi, plutôt que de chercher d’abord un projet, il vaut mieux de se concentrer sur le bâtiment en tant que tel de manière à construire les usages qui peuvent le mieux servir la communauté.
La mise en œuvre de l’urbanisme de transition peut se faire de nombreuses manières et variera toujours selon les situations, mais il demeure crucial de changer notre façon de voir les choses. Pour la ville, cela implique un assouplissement de certaines règles et restrictions, à la fois dans l’accès physique aux espaces, mais aussi dans la dimension financière. Pour permettre la participation citoyenne, il va de soi que ces espaces devront être rendus abordables. Un regard différent est aussi nécessaire dans la manière d’approcher nos espaces. Par exemple, une école et nombre de bâtiments publics sont inutilisés la nuit et les fins de semaine. Valoriser les différentes temporalités de la ville, expérimenter avec de nouvelles formes de zonage et des fiducies pourront nous révéler un potentiel inattendu. Ultimement, pour le patrimoine, la transition est une opportunité de réappropriation du sens des lieux, mais aussi de rattachement.