DÉCROÎTRE, oui ! Mais comment ? Et, surtout, décroître quoi ?

compte-rendu de la conférence d’Éric Pineault, institut des sciences de l’environnement de l’UQAM, le 7 juillet 2021 au campus de la transition écologique.

La raison d’être d’un mouvement comme la décroissance s’enracine dans son contexte d’origine. Face à la constante intensification de la crise environnementale, nous avons assisté dans les récentes décennies à un épuisement graduel des manières d’adresser la situation. La décroissance s’interprète ainsi comme la réponse à une crise des discours environnementalistes. À ce titre, l’imaginaire moderne ayant porté nos aspirations collectives et informé notre manière de deviser des solutions est en situation d’échec. Cette remise en question est bien plus profonde qu’à première vue dans la mesure où l’enjeu n’est pas simplement de penser autrement, paradigme profondément moderne, mais bien de repenser l’entièreté de notre système et les relations qui lui donnent vie. Ce système est présentement le mieux représenté par la croissance, concept qui s’incarne en trois dimensions distinctes.

La croissance est d’abord un paradigme économique, généralement représenté comme la capacité à augmenter le PIB par le biais des échanges commerciaux. La croissance dépend de réorganisations spécifiques de la société, reposant sur la valorisation de certaines activités (comme le travail) et la dévalorisation d’autres (le travail domestique ou la nature par exemple). Les frontières divisant travailleurs et moyens de production de même que producteurs et consommateurs deviennent des lieux où l’exploitation et le profit fleurissent conjointement en réorientant nos relations sociales.

La croissance est ensuite un fait matériel. C’est l’envers physique de la croissance économique : pour croître, une économie dépend de toujours plus de matière, d’énergie et d’espace. Et cette réalité contribue directement à l’érosion de nos écosystèmes, à la disruption de nombreux cycles naturels et à d’innombrables tensions politiques à travers le monde. Notre croissance peut donc également s’exprimer en masse de matière utilisée, soit notre empreinte écologique.

Finalement, la croissance a une dimension idéologique. Il existe la croyance en une capacité d’amélioration constante de la société grâce à l’apport de nouvelles technologies. Cette idéologie repose sur un déni des limites naturelles, déni s’exprimant ensuite dans le dépassement de ces mêmes limites. Croître, c’est surmonter la nature. Présentée comme des solutions faciles à nos problèmes, les innovations de la croissance tendent toutefois à amener de nouveaux problèmes, comme la dépendance aux métaux rares.

Ces problèmes ont pu, jusqu’à présent, être évités par les pays riches aspirant à la transition dans la mesure où les moments les plus dommageables de la production de technologie ont lieu à l’étranger. L’extraction et la transformation des ressources deviennent ainsi les théâtres de nouvelles formes d’inégalités où les pays les plus fortunés parviennent à financer leur transition écologique en entretenant des relations d’injustice à l’étranger. Ces relations verrouillent les opportunités de transition des pays en développement alors que la transition des plus riches résulte en une dévastation environnementale accrue.

L’imaginaire de la croissance a ainsi su alimenter l’histoire des mouvements progressistes en nous permettant de croire en un monde plus juste, or ces idées ont également pavé la voie au développement effréné de la crise climatique. La décroissance vise donc à remettre en question cette idéologie.

Cette remise en question vise ultimement à atteindre une décroissance des impacts environnementaux, mais en nous confrontant à l’enjeu de la décroissance de la dimension économique. Décroitre au nom de l’environnement implique effectivement un rétrécissement du PIB de même qu’une réduction de la circulation de la matière. Ces défis s’envisagent principalement à travers la réorganisation de nos économies autour de cycles d’échanges courts, limités en grande partie aux ressources à proximité de nos sociétés. Ces transformations impliquent nécessairement une révision de nos attentes, conditionnées jusqu’ici par l’imaginaire moderne de la croissance, mais aussi une révision de nos manières de faire et de valoriser. La revalorisation du travail domestique et de la nature, mais aussi l’établissement de modes de production démocratiques sont ainsi des éléments centraux de la décroissance.

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Les lieux de l’en-attendant, des espaces temps pour bâtir l’avenir