S’appuyer sur la recherche pour développer une vision collective de la transition écologique
Dans le cadre de sa première année de déploiement et de son axe d’action Savoirs, le Campus de la transition s’est allié à la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’UQAM afin de définir une vision scientifique pour structurer ses actions par une approche concertée et collaborative.
Après plusieurs mois de recherche, nous avons échangé avec Ali Romdhani, sociologue et chercheur post-doctoral et chercheur principal de cette démarche afin de vous présenter aujourd’hui les premiers constats de ce travail de recherche.
Ce premier grand projet de recherche est réalisé avec le soutien philanthropique de la Fondation du Grand Montréal, dont l’appui s’inscrit dans le cadre du Fonds Collectif pour le climat et la transition écologique.
Campus : Avant de débuter, dans quel contexte s’inscrit ce projet de recherche ? Également, pouvez-vous nous rappeler les objectifs initiaux de cette démarche ?
Ali R. : Le contexte est sans appel et l’urgence d’agir est réelle. C’est un constat partagé aujourd’hui par la plupart d’entre nous, à l’échelle individuelle ou collective, et la transition écologique est souvent présentée comme une solution à déployer, le “chemin à suivre”. Notons que la transition écologique est un concept relativement récent au Québec, qui prend progressivement le pas sur le concept de développement durable, proposant un changement plus radical.
L’objectif principal de cette première phase de la démarche de recherche est d’analyser les différentes visions et stratégies de la transition écologique déployées à l’échelle métropolitaine.
La démarche menée actuellement s’appuie sur la méthodologie d’analyse du discours. Quatre discours, identifiés comme représentatifs, ont été retenus dans le cadre de cette recherche. Deux sont issus d’institutions publiques, et deux de la société civile :
Plan Climat 2020-2030 - présenté par la Ville de Montréal (2020)
Plan pour une économie verte 2030 - présenté par le Gouvernement du Québec (2020)
Projet Québec Zéro Émission Nette - présenté par le Front commun pour la transition énergétique (2020)
Récit collectif de la transition - présenté par Solon (2021)
Dans le cadre de cette recherche, chaque discours est analysé afin de mettre en lumière :
les visions de la transition écologique
les stratégies proposées pour accélérer la transition écologique
les acteurs essentiels de la transition écologique.
Cette approche a permis d’établir une première typologie des discours qui est présentée dans la figure suivante. Elle est construite à partir de:
leur approche (approche sociocentrée vs. approche technocentrée);
leur échelle (échelle de milieux de vie vs. échelle provinciale);
leur objectif (justice sociale vs. carboneutralité).
Ce premier niveau d’analyse permet d’ores et déjà d’affirmer que le concept de transition écologique revêt diverses réalités, qui permet à la fois de rassembler une diversité d’acteurs mais également de générer des visions différentes, voire parfois contradictoires.
Il faut aussi noter qu’un discours peut tenter de concilier des pôles opposés. Par exemple, le Front commun propose une transition qui poursuit des objectifs de justice sociale et de carboneutralité.
Campus : Quels sont les premiers constats à tirer de cette première phase de recherche et d’analyse ?
Ali R : L’analyse des discours découlant de ces 4 documents a permis de tirer plusieurs constats importants :
En premier lieu, l’analyse des discours nous permet d'affirmer qu’il n’existe pas de vision commune de la transition écologique à l’échelle métropolitaine.
Les quatre discours présentent des scénarios nous offrant des avenirs différents allant d’une opportunité de développement économique pour le Québec, à un avenir désirable et s’appuyant sur des milieux de vie solidaire, à une ville verte et résiliente ou encore, à une vision d’avenir appelant à des changements plus radicaux.
En second lieu, en dépit de leurs différences, chaque discours analysé présente un point commun : ils sont généralement basés sur des visions inspirationnelles, proposant des mesures incitatives et non coercitives ou réglementaires. Chaque vision souhaite ainsi inspirer le changement, et ne prétend pas vouloir imposer un changement. Seulement Québec ZeN propose certaines mesures contraignantes qui devraient être mises en oeuvre par les gouvernements.
Enfin, la transition écologique est essentiellement réfléchie à travers les comportements individuels et l’action des gouvernements. Certains acteurs essentiels manquent à l’appel, comme les entreprises qui sont souvent négligées et peu abordées à travers ces documents.
Campus : L’analyse permet-elle également de mettre en lumière certaines contradictions ou impensés de la transition écologique ?
Ali R : À ce jour, l’analyse approfondie de ces 4 discours a permis de mettre la lumière sur trois importantes contradictions, que l’on peut également nommer “angles morts” dans le cadre de cette recherche.
Notre rapport à la nature est passablement absent de ces discours. Chaque discours présente une vision anthropocentrique de la transition écologique. En d’autres termes, les discours sont pensés par les humains, pour les humains, faisant peu de place à la biodiversité et aux autres espèces vivantes.
L’urgence d’agir pour la transition écologique est pensée uniquement à travers la lentille des changements climatiques. Les 8 autres limites planétaires présentées, par exemple, dans la Théorie du Donut qui, avec les changements climatiques, permettent de réguler la stabilité de la biosphère ne sont pas pris en considération dans les discours analysés. (Théorie du Donut - en savoir plus ici)
Les quatre discours s’accordent sur le fait que nous sommes dans une situation d’urgence climatique. Cependant, aucun des discours ne prend réellement en considération les limites temporelles auxquelles nous devons faire face.
Campus : À partir de ces résultats préliminaires, comment pouvons-nous nous appuyer sur ces données afin d’accélérer la transition écologique à l’échelle métropolitaine ?
Ali R : Les premiers résultats de ce rapport de recherche sont fondamentaux pour attirer l’attention sur les secteurs à privilégier et sur le développement de connaissances sur la transition écologique. Cette grille de lecture peut ainsi servir de “boussole” pour guider les acteurs et organisations de la transition écologique dans leurs décisions et positionnements.
Enfin, le rapport met en lumière d’importantes opportunités d’action pour le milieu, soulignant clairement certaines priorités d’action et les impensés des discours actuels.
Rappelons que cette démarche a été entamée dans le but de nourrir les réflexions du Campus comme nouvelle organisation dans l’écosystème de la transition socioécologique afin de s’assurer qu’il oeuvrera en complémentarité avec les organisations existantes et de s’assurer de pouvoir apporter une plus value dans ‘’l’arpentage’’ du ‘’chemin à suivre’’.
Ainsi, la Chaire finalisera l'étape liée à l'analyse des documents autour d'une vision métropolitaine de la transition écologique et bonifiera cette analyse par des échanges avec des organisations et des institutions métropolitaines. Une fois l’analyse complétée, la 2e phase sera entamée, soit des rencontres avec des professeurs et scientifiques de différentes institutions pour valider et creuser certains éléments. La Chaire posera alors des constats quant aux angles morts, défis ou priorités dans la mise en œuvre de la transition écologique à l'échelle métropolitaine.